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Théâtralité du jeu et du ‘’je’’

Une fois n’est pas coutume, parlons un peu de ‘’théâtre’’.

En achevant ma dernière pièce, il m’est apparu une sorte d’évidence. Confirmant que nous ne faisons pas tous le même métier dans ce landerneau des scènes nouvelles et des séniles…

Non, je ne vais pas me faire que des amis. Certains vont encore me décerner les étoiles Michelin de la tête de con sauce gribiche, le médaillon de la boursoufflure enfarinée. Bref, nominé au bal des prétentieux.

Et pourtant… Seul le doute et la faillibilité autorisent cette saillie de gentil rebelle. Pas aisé de trouver les mots justes, pour faire entendre le particularisme de sa voix. De sa voie.

J’ai fait le choix inouï, insensé, chanceux d’être comédien, alors que rien ne m’y prédisposait. Absolument rien. Alors, comédien bon, mauvais, irrégulier, limité, moche, raté, invalidé… ? Peu importe, j’interprète des rôles. C’est ma vie, mon quotidien.

Il m’est arrivé de fouler les planches devant 4000 spectateurs. Ivresse du plateau.

En d’autres occasions, de jouer pour la seule satisfaction de 2 à 3 personnes perdues, isolées, misérablement enfouies dans leur fauteuil (ou banc ?), n’osant ni rire ni applaudir de peur de nuire à la belle et sordide intimité ainsi créée…

Nombreux sont les artistes ayant pratiqué ce grand écart. Quasiment tous mes congénères ont des anecdotes croustillantes, amusantes ou vaguement aigries sur leurs faits de guerre, lasse. C’est la grandeur et l’humilité de notre passion.

Le comédien, quand il aborde son rôle, reconstitue, dans un temps de répétitions imparti, une sorte de puzzle psychologique. Il définit le parcours intérieur du personnage à incarner avant de l’extérioriser. Le jour de la ‘’Première’’, il ne maîtrise pas encore l’ensemble de ces ressorts. Son jeu reste frais et fragile. C’est au fil des représentations que vont apparaître les rouages comiques ou dramatiques, la mécanique huilée du cœur et du corps, que va naître la vérité pure de son personnage. Au début, c’est lui, le personnage en quête d’acteur, qui dirige la manœuvre. Au grès des séances, le comédien va progressivement gagner du terrain puis enfin prendre le contrôle de celui à qui il prête sa voix, son corps, son visage. Une inversion dans le rapport (de force ?) jouissive et magique.

A mes yeux, la vérité n’éclate qu’en public. Un boum émotionnel ! Une des raisons pour laquelle on se doit de respecter ceux qui se déplacent pour nous applaudir (ou nous huer, plus rare mais ça doit arriver).

Lorsque je me plonge dans l’écriture d’une pièce de théâtre, il m’est impossible de ne pas garder en tête ce doux parfum d’adrénaline de la représentation. De me ‘’représenter’’ justement le public, d’anticiper la manière dont il va ressentir mon verbe, accompagner mes ‘’créatures’’ dans leurs tribulations et soubresauts, jouir de ces instants uniques. Réagir plus simplement. Et de devancer le boulot des comédiens également. De fournir ainsi les balises (autant en terme psychologique que de ponctuation), de faciliter le routage plutôt que de provoquer le déroutage intime.

Voilà pourquoi la pièce que je croyais avoir achevée il y a plus d’un an est restée dans les tiroirs de certains lecteurs, qu’elle n’a pas débouché sur un coup de cœur ni une programmation. Car mon travail d’auteur n’était pas fini. D’ailleurs, l’est-il vraiment aujourd’hui ? Spectacle vivant, dit-on. A l’instar du comédien qui s’approprie son personnage, j’ai repris le contrôle sur mon propre texte. Je l’ai relu, revu et corrigé. Amélioré en fonction de l’objectif défini.

Et c’est exactement ce que je peux reprocher à beaucoup d’entre nous, et à moi en particulier. De ne pas toujours nous accorder ce temps de la relecture. Se prétendre ‘’auteur’’ est une responsabilité vis-à-vis du lecteur, des interprètes et du public. Comment pourrions-nous être considérés par ceux qui nous font vivre si nous ne nous respectons pas nous même ?!?

Attention, cette exigence n’est pas une garantie de qualité. C’est là précisément que je réfute l’idée de toute arrogance. Les pièces qui m’ont demandé le plus de temps, d’effort et de finition ne sont pas nécessairement les meilleures. Elles sont juste le reflet le plus proche du but ou de l’ambition que je m’étais initialement fixés. Rien de plus. Et c’est énorme.

Il m’est arrivé par le passé d’être programmé, avec une audience importante, sur Paris. Des critiques ont été très loin dans les superlatifs flatteurs. Plus ils se montraient excessifs, plus je m’enfonçais dans la déprime. Je ne me reconnaissais plus dans cette pièce, ma volonté première y était bafouée. Par ma faute car je n’avais pas été capable, dans mon écriture, de l’amener à bon port. Ce sentiment d’imposture et de fausseté, né de cet épisode, est sans doute la cause de mon intransigeance actuelle.

Aimé, apprécié ou non, un texte doit pouvoir être défendu par son auteur. Si mes choix doivent déplaire, au moins, qu’ils restent mes choix assumés à 100 %.

J’en ai vu des pièces bancales et d’autres (ou les mêmes) bankables. J’en ai lu, des textes. Aucune présentation ni ponctuation, erreurs de prénoms (si, si !), pas de caractères différents pour les didascalies ou indications, fautes d’orthographes à la pelle et à l’appel. Et dans le registre de l’humour… ?!? Recherche unique du bon mot au mépris de toute cohérence dramaturgique, vulgarité générale pour obtenir un rire facile, recyclage de clichés… Nous sommes entrés dans l’ère du ‘’fast théâtre’’. Et ça marche ! Pour combien de temps encore ?

Je ne suis rien ni ne vais nulle part. Peu ou pas reconnu en tant qu’auteur de théâtre (ou comédien d'ailleurs). Dans le no man’s land de celui qui écrit en toute liberté, comédies ou drames, dans le refus des étiquettes pré-imprimées. Sans producteur ni réseau de diffusion attitrés. Mais je me respecte. Je respecte ceux qui font le même métier. Car je sais la solitude, l’incertitude et la souffrance parfois que cela implique. ‘’Ne pas se prendre au sérieux dans ce que l’on fait mais le faire sérieusement’’. Tout est là. Dans cette formule basique et ultra éculée.

Certains ne font pas sérieusement le même métier que nous, alors ils nous accusent de nous prendre au sérieux... Si seulement c'était aussi simple.

Désolé. Je suis et je resterai un grand rigolo !

Grégoire Aubert

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