De l'art de l'adaptation théâtrale
L'avantage, lorsque l'on a son site internet, c'est qu'il faut l'alimenter et le mettre à jour régulièrement. Et certains manquements parfois vous sautent aux yeux...
Ainsi, dans mes pièces de théâtre, n'apparaissaient pas les adaptations que j'ai pu faire pour la scène. Oubli dorénavant réparé :
. "Tartuffe", une farce féministe pour 3 comédiennes. Molière toujours très actuel pour dénoncer les hypocrites de la religion; un thème élargi ici à la vieille société patriarcale et à l'émancipation des femmes.
. ''Les fourberies de Scapin'', remixé pour 3 comédiens survoltés qui prouve qu'en matière de comédie, Molière avait déjà tout éprouvé.
. "Au bal des pourris, Marie danse…" d'après le roman de Sylvaine Allié "Un papa pour Noël", prose poétique et émouvante à une ou plusieurs voix sur la quête quasi mystique d'une jeune fille.
En fait, l'adaptation est un travail à part pour un auteur. S'approprier les mots des autres pour en faire sa propre œuvre, ou tout du moins, imposer son propre regard. Une mission qui relève du mixage, du découpage, du (dé-re) montage et qui nous oblige à axer nos réflexions sur la logique du récit plus que sur les dialogues en tant que tels. Le plaisir qu'on y prend relève de l'exercice de style, souvent. Et la liberté venant de la contrainte, la pression se fait moindre, le cadre impose sa loi, l'adaptateur s'y soumet avec délectation et défi. L'objectif est de composer une nouvelle partition, d'éviter les écueils de la facilité ou de l'incohérence psychologique et factuelle, de débloquer les situations en fonction des impératifs (de jeu ou de dramaturgie)...
L'auteur d'origine nous donne également un surcroit de responsabilité. Nous entrons dans un échange permanent avec lui, ce qui enrichit la démarche et le propos. Notre action est une étape supplémentaire dans le passage du manuscrit à la scène. Un des risques majeurs, au delà de ne pas plaire ou de faire fausse route, serait de donner le sentiment de trahison par rapport au texte initial.
Mais j'y vois un autre piège, plus retors. Moins évident. Et je crois bien que nombre d'auteurs y sont déjà pleinement tombés par le passé : Que notre travail soit inutile ! C'est à dire que l'adaptation voulue ou demandée n'apporte strictement rien au projet. Si le texte de départ n'est pas un tant soit peu enrichi (pas amélioré, attention, ce qui serait d'une connerie prétentieuse crasse) mais bien enrichi par un point de vue complémentaire, une émotion particulière, à quoi bon faire une adaptation ? Pourquoi dès lors ne pas se contenter de le reprendre en l'état ? Et si on ne peut pas (pour raisons économiques par exemple car monter Molière avec 7 à 10 comédiens professionnels n'est pas permis à tout le monde), il suffit de partir sur un autre projet.
Je me souviens du directeur d'un petit théâtre parisien qui, à mes début, il y a 20 ans, m'avait dit que "pour gagner de l'argent avec ma compagnie, il fallait que je monte des classiques". Belle lucidité à laquelle je ne me suis jamais résigné. J'ai attendu 10 ans avant de me lancer dans l'aventure des "fourberies de Scapin". Et dix années de plus pour songer à "Tartuffe". Force est de reconnaître qu'au festival d'Avignon, j'ai refusé du monde 2 années de suite avec "Scapin". Alors qu'en création contemporaine de mes textes ("le ballon blanc", "Descentes", "Réflexions Canines", "Jardins Intérieurs", "La parenthèse du mimosa"), nous avons accumulé les dettes et obtenu des succès d'estime (et critiques, c'est déjà ça)… CQFD
Vis à vis de Molière, l'adaptation me permet de mettre une part de moi même dans un pièce déjà célèbre et célébrée, d'en faire un spectacle personnel. Mais je ne me suis JAMAIS soumis aux diktats économiques imposés par les choix du public et des salles ou programmateurs. Monter une pièce est prioritairement, en ce qui me concerne, un acte de foi artistique, une volonté de raconter une histoire précise, de faire réfléchir, de toucher un auditoire. Et cela peut aussi bien passer par le rire que par une émotion brute.
Le coût peut certes être lourd quand vous avez du mal à boucler vos fins de mois et que vous êtes couverts de dettes mais comme l'a si bien dit une personne - proche en théorie, très éloignée en pratique - qui n'a jamais rien compris en quoi consistait mon activité parce qu'elle ne s'y est jamais intéressée (c'est son droit ) mais qui en revanche se permet d'émettre des jugements sur la démarche : "tu l'as choisie, tu ne peux pas te plaindre".
Eh oui… C'est un métier de choix que je pratique. Il faut aussi savoir s'adapter à son environnement….