top of page

Etre ou disparaître

Et dire qu’il y a un quart de siècle, je sortais diplômé d’une école de communication !

Mais je hais la com’ !!!!! Le principe de com’ en tant que lien et jeu social, j’entends.

Le métier que je me suis choisi ne relève pas du hasard : Auteur et comédien.

Pour le reste, je ne sais pas expliquer ce que je crée. Je ne sais pas trouver de formules marketing ou publicitaires. Je ne sais pas rédiger des dossiers argumentés de demandes de subventions. Je ne sais pas tricher avec ma vérité, faire vœu de duplicité. Je sais juste raconter des histoires et les incarner.

Ecrire et jouer : ma joie, ma passion, ma délectation, mon ambition, ma croix parfois, ma mission, ma vie tout simplement !

Attention, jouer sur scène bien sûr, oui. Mais dans la vie, jamais !

C’est le monde actuel qui réclame de chacun - et pas que des artistes - ce jeu de dupes, au filtre déformant. Travailler son relationnel, savoir se vendre, faire croire que l’on est un autre, intégrer et soigner ses réseaux, maquiller ses états d’âmes, se cacher derrière un sourire d’apparat, paraître jusqu’à disparaître derrière cet écran de fumée et de fausseté.

Disparaître oui. Un besoin viscéral dès que je me confronte à l’enjeu du contact, dans une espèce de sociabilité lacunaire radicale. Devoir s’adresser à une personne parce que vous partagez le même environnement pro, parce que vous devez lui vanter vos projets ou vos mérites, parce qu’un tiers vous présente l'un à l'autre avec un sens du mauvais timing qui confine au génie… Tout ce travail de séduction commerciale induit m’est toujours apparu illusoire et étranger. Fatalement, une impasse. La relation humaine n'est pas une technique de com'. Quel mal être que d’évoluer dans l’aseptisé, le lisse, l’assenti, le creux ! Quelle consternation d’être avenant par politesse ou code social ! Surtout quand votre interlocuteur ne s’embarrasse pas de telles contraintes et vous renvoit sans ménagement à votre statut de quémandeur, de sous-fifre, de petit candidat sujet à son bon vouloir.

Et on ne va pas toujours se bourrer la tronche pour briser la glace, si ?!? Peut-être serait-ce la solution finalement...Mais dans ce monde de peine à jouir, le savoir-vivre n'est plus une chemise qu'on déchire..mais un corset que l'on serre à outrance.

Alors disparaître ! Pour s’éloigner, pas pour se cacher. Nulle pudeur de gazelles comme dirait l’autre. Et nulles compromissions idiotes avec sa propre intégrité, surtout.

Bien au-delà de la scène, l’essence de ma démarche, serait d’atteindre, tel un Nirvana de l’intime, le plus haut degré d’authenticité. la seule recherche qui vaille, Ne pas faire semblant. Faire parfois des arrangements avec ses humeurs et convictions certes, pour ne pas blesser inutilement, mais ne pas tricher ni mentir. Avouer ses faiblesses pour mieux asseoir ses forces.

Aborder untel ou discuter avec lui devient un effort insurmontable quand l'esprit n'y est pas. La pluie, le beau temps et l'état du monde n'ont pas besoin de nos commentaires avisés. Une rencontre, c'est une envie partagée ou une évidence. Comme pour une histoire d’amour. J’ai toujours profondément détesté la drague et ses techniques ringardes. Un regard, un sourire, un déclic, une envie, une empathie, une simplicité naturelle… Voilà qui fait chavirer, qui crée du lien. Pas des mots creux et des postures factices motivés par l’espoir souvent vain du profit, de l’influence ou de la baise.

Sans doute suis-je inadapté au réel. Par ce rejet du mouvement imposé, de ces rapports de pouvoir, de force ou de conquête, ce refus d’être fidèle à une image iconique et sectorisée, voulue par la communauté humaine qui ne fonctionne qu’avec des règles sociales aux moules formatés, calibrés. Il en va d’ailleurs de même dans la sphère privée .

Dans la grande et jolie famille du théâtre, vous avez en juillet « Avignon et son festival », le royaume de l’entre-soi et du chacun pour soi. Mélange détonant, Avignon, lieu idéal pour faire du relationnel, paraît-il. Et c’est vrai que l’on y retrouve des amis, qu’on peut y nouer de nouveaux contacts ou amitiés sincères, tisser un lien avec son public, peaufiner « in situ » son spectacle…

Un panorama flatteur auquel s’ajoutent les rendez-vous ratés, les doutes artistiques ou financiers, les petites ou grandes déceptions, les impros de la fête et les accrocs de l’affect… les hauts et les bas existentiels.

En réalité, la grande famille du théâtre ne correspond à rien. Une réunion de talents et d’égos ne demeure jamais qu’une accumulation d’individualités. A Avignon, chacun n’a qu’un seul objectif : sa pièce, son spectacle, sa gueule ! Les liens du sang, les filiations n’y ont pas leur place.

Les artistes les plus en vue restent entre eux. C’est ainsi. Les producteurs, comédiens, auteurs, metteurs en scène établis, en vogue, influents… Vous les croisez à peine, vous ne les rencontrez pas. Un voile opaque vous sépare. Pour le déchirer, il faut posséder un talent qui n’est pas le mien.

Bien sûr, les contre exemples sont nombreux. L’humanité bienveillante et sincère résiste toujours, reste au cœur des préoccupations d’un grand nombre de belles âmes, artistes ou non. Des perles de gratitude et d’espoir. La fidélité en amitié n’est pas qu’une lubie. Les sympathies passagères, les invitations aux spectacles pullulent, L’ouverture sur les autres, sur un univers artistique étranger est une règle d‘or. Respectée par beaucoup. Enfreinte tout autant.

. Des vieux compagnon de route qui cartonnent nationalement, programmés comme vous dans le Off, ne trouveront pas le temps en un mois de vous appeler ou de venir vous voir. C’est à vous qu’il incombe de faire le premier pas. Logique de cour. Les relations amicales deviennent verticales.

. Ceux qui vous ont connu il y a 20 ans n’imaginent pas que vous puissiez avoir évolué dans votre art et vous réduisent à vos défauts d’hier (ou vos talents, soyons positifs)… Eh puis, « j’ai déjà suffisamment de mal à suivre ma propre carrière, je ne vais pas m’intéresser à celle des autres » (vu et entendu, ce n’est pas une punch-line).

. Des artistes que vous croisez chaque année depuis plus de 10 ans dans les rues et restos de la ville ne jugent toujours pas utile de glisser plus loin sur cette pente naturelle autour d‘un verre et d’une discussion. Pas de temps à perdre. Waouh… Pour un événement festif et de partage, chapeau bas !

Et vous restez dès lors en retrait, en observateur privilégié. A votre place. A la marge. Vous ne forcez pas votre destin. Toujours ce refus que la « communication directe » ne soit qu’un effet de style, vaniteux ou superficiel.

Ces petites anicroches pourraient rendre triste et amer. Il n’en est rien. Elles renforcent au contraire les convictions.

Un de mes amis - auteur à certain succès - a parfaitement résumé la problématique. Face à « l’industrialisation » massive du théâtre et à cette accentuation du pouvoir médiatique, nous incarnons la résistance. Les artisans de l’ombre. Des ilots de liberté, fragiles et donc précieux. A travers nos spectacles, c’est un état d’esprit que nous défendons.

Dans les productions lourdes, les grosses mécaniques, il y a des merveilles indéniables, de nombreuses pépites. Mais merde ! Vous qui faites un tant soit peu autorité en la matière, n’attendez pas qu’un inconnu vienne vous cirer les bottes pour daigner vous pencher sur son cas. Soyez curieux, venez voir ce qui se passe sous le soleil. Penchez vous sur ce théâtre sous-terrain. Pas clandestin, hein ! Juste moins éclairé.

Quand on est en haut de la vague, n’oublions jamais que l’océan est profond. C’est ce qui donne cette belle couleur, ce vernis brillant à la surface la plus visible.

Grégoire Aubert

Edito du mois
Actus Récentes
Les mots clés
Archives
Retrouvez-moi sur
  • Facebook Basic Square
bottom of page