C'est la fête de ma mère
Fin décembre 2007, ma maman nous quittait après un rude combat contre cette saloperie de cancer. Elle n'avait que 68 ans. Cette année encore, comme à chaque fois depuis 16 ans, début mai, les hommages affluent sur Facebook, les téléphones ne cessent de tinter, les publicitaires nous emmerdent avec leurs promos outrageantes sur les aspirateurs, les messages de joies familiales sirupeuses nous engluent et je reste au milieu de ce brouhaha, seul avec mon silence...
Aujourd'hui, avec plus d'un mois de retard, j'ai envie à mon tour de célébrer celle qui fut à l'origine de mon monde. Voilà le texte que j'avais rédigé le jour de Noël et de son enterrement. Je vous souhaite à tous d'avoir une mère aussi présente, même de l'au delà.
"Maman s’en est allée, elle ne s’est pas fait prier. Pourtant, la prière, ça la connaît.
Maman s’en est donc allée à cause d’une longue maladie. 2 ans et demi, est-ce si interminable que l’on puisse parler d’une longue maladie ? Une méchante maladie serait plus juste, une maladie pernicieuse et vorace. Maman, victime d’une maladie qui bouffe de l’intérieur comme on dirait d’un cancer qui ronge ! Ne jouons pas avec les mots pas plus qu’on ne jouerait avec la maladie. C’est bien le cancer qui nous vaut d’être réunis aujourd’hui. Ce cancer que nous pouvons tous mépriser, narguer, réprimer, combattre mais difficilement ignorer.
Maman aura pourtant fait tout cela à la fois avec son cancer. Droite et digne dans la tempête. Supportant les contraintes draconiennes de la médecine et refusant net au début d’être considérée comme une "malade". Le mal a reculé d’ailleurs ; avant de s’affirmer puis de se propager. Maman a fini, elle aussi, par reculer mais jamais par céder. Le corps a lâché, jamais l’esprit. Pour maman, le mal ne fut que mal être. Un mal jamais malséant, rarement malveillant ni bien sûr malléable. Un mal tout juste malotru, malpropre, mal foutu, malhonnête ! Qui d’autre que maman aurait pu rester fidèle à ses principes de lutte et de décence jusqu’à son dernier souffle ? Jusqu’à réfuter l’évidence.
La longue et méchante maladie aura accompagné maman pendant 2 ans et demi, une période équivalente à dix années au moins. Oui, ces 2 ans et demi comptent pour dix années en donnant un manifeste coup de vieux à celle qui fut restée si jeune, si svelte, si longtemps. Mais ils comptent pour dix ou vingt années aussi et surtout car en provoquant une prise de conscience majeure, ils nous aurons rapprochés, nous, ses enfants ; ces 2 ans et demi ont nourri en intensité, solidarité et tendresse nos souvenirs de famille.
La foi n’a jamais abandonné maman. Foi en Dieu ou foi dans la vie, mais n’est-ce pas la même démarche nous dirait elle ?!? Il y a quelques années, à une question portant sur sa croyance, "Dieu est un pari sur l’avenir" m’avait elle rétorqué. L’avenir. L’avenir a toujours fait partie de son vocabulaire. Si ce n’est le sien, celui des siens. Maintenant que la mort l’a rattrapée, force est de reconnaître que maman a gagné son pari, le pari de sa propre vie, de sa propre foi. Pas seule. En totale fusion avec Papa qui est toujours là, plus que jamais ; maman et papa ou, papa et maman et, papa sans maman.
Maman et sa froide résolution, sa maîtrise permanente et contrôlée, ses préceptes culturels autant que didactiques, sa droiture infaillible, sa lucidité rageuse, son appétit de connaissance ; aussi maman et son fichu caractère, son verbe acéré, ses scuds, maman et ses éphémères colères, son perpétuel bouillonnement intérieur, ses nœuds viscéraux. Car sur l’essentiel, les maux de maman ont toujours été contenus. Tous les maux. Les maux et les mots ne s’exprimaient favorablement qu’en son sein. Des maux tus voire cachés. Maux tus et bouche cousue. Le cœur de sa vitalité triomphante était mêlé au ventre maternel. Le ventre originel. Pour maman, si la vie est un combat, la grandeur de toute notre humanité se retrouve dans la matrice, dans les tripes pour parler grossièrement. Il n’y a d’envergure que dans le viscéral. De ce point de vue, maman était grande et le cancer ne s’est pas trompé de terrain de guerre en faisant son nid au beau milieu de ces entrailles fondatrices et symboliques.
Le cancer a abattu maman comme on ferait tomber le tronc d’un arbre. Il a gagné la bataille certes. Mais il a perdu la guerre. Maman n’a jamais plié face à la maladie. Elle a donc rompu. Mais le chêne fait mentir la fable. Le sens du devoir, l’élévation de l’âme, cette force impétrante à se dépasser en toute circonstance… les racines maternelles sont toujours bien présentes, intactes et vivaces. Maman ne relève pas du simple souvenir, sa sève coule dans nos veines. Ses fameuses racines ont fait notre berceau ; elles alimentent et guident nos pas. Encore et toujours. A jamais. L’arbre a accouché d’une forêt."
En balade sur La parenthèse du mimosa, je croise ton texte et alors apparait un embryon de réponse à la question d'où te viennent ton énergie et ta capacité à être et te voir être, ou, autrement formulé qu'est-ce qui te permet à la fois d'être ( en rôle) ou pas ( en interrogation de ce rôle) ? L'origine... celle qui, à n'en pas douter est toujours là et "coule dans nos veines". Etre. Là est la vraie question.
To be or not, to be ? Shakespeare avait placé la virgule à cet endroit.
Tu questionnes ce qui n'est pas, en jouant ce que tu es (ton rôle).
Ce très sensible et très ténu décalage fait de toi un comédie…